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Coup
de chapeau ... au bonnet de
marin
Un
jeune marin de la "PEP", frais émoulu du
Centre de Formation, me posait récemment la
question du pompon rouge, son origine, sa raison
d'être, les histoires qui courent à
son propos.
C'est avec plaisir que je satisfais à la
curiosité de ce jeune camarade et,
j'imagine, à celle de beaucoup d'autres qui
voudraient bien... tout savoir sur la chose sans
oser le demander.
Un
peu d'histoire de l'habillement
La houppette du bonnet, tel est son nom
réglementaire, apparaît officiellement
à la grande circulaire de Juin 1858,
définissant l'uniforme du marin des
Équipages de la Flotte (création du
corps en juin 1856).
"Houppette de fils de laine bleu et garance
(rouge) mélanges, replies sur leur longueur
et formant gland"
telle est la description du curieux attribut qui
vient orner le bonnet de travail en laine bleue,
conjointement aux bandes de laine rouge garance de
15 mm du bord du bonnet.
Voilà qui peut satisfaire mes amis
Commissaires et leurs troupes de Fourriers et
Secrétaires, pour qui le texte officiel
constitue le seul salut. Mais pour qui veut aller
au delà du texte ceci n'est pas suffisant,
car en matière d'habillement (... comme en
bien d'autres domaines d'ailleurs) on
entérine l'usage, soit en l'occurrence la
mode.
Le bonnet de laine est de tous les temps mais nous
nous limiterons au XlXème
siècle. Au début du siècle
apparaît la forme toque... ou
réapparaît car au
XVIème déjà... mais
passons. Ainsi le "bonnet à visière
de forme champignon" devient-il la coiffure
ordinaire des Équipages de Ligne en 1825. Ce
bonnet à visière n'est autre que la
casquette, ou du moins une casquette car elle
comporte aussi un couvre-nuque. Une autre coiffure
du même type, mais sans visière,
coexiste avec la première du moins chez le
soldat Prussien (c'est la Mütze) et en
Angleterre (Scottish cap).
Quand ce bonnet fait-il son apparition sur la
tête de notre Matelot, je ne sais
précisément pas mais au moins
à partir de 1840. Quelques documents
attestent alors d'un bonnet à coiffe large,
bleu, et bandeau rouge, qui ne tarde pas à
être agrémenté d'une houppette
en fils de laine. Mélange de fils rouges et
bleus, ce qui correspond à la mode bicolore
de la casquette (portée par les
Équipages jusqu'en 1836) et de la ceinture
en tenue de service.
Le règlement de 1858 entérine ainsi
le bonnet porté par nos Matelots, avec sa
houppette "formant gland". Mais le terme de pompon,
argot militaire pour des houppettes de formes
variables, sera communément
adopté.
Pourquoi, en 1870, le pompon bicolore se voit-il
réduit à la seule couleur rouge ?
Simplification de fabrication (on réduit
aussi les bandes du bonnet à une seule) en
mode du marin ? Je n'en sais rien. Les deux
à la fois peut-être... et l'Amiral
FOURICHON, père du nouveau pompon rouge, ne
nous a rien dit : il faut dire qu'en 1870 il avait
autre chose à faire.
1872,
le pompon passe à
terre
En 1872 enfin le pompon est autorisé
à descendre à terre, le bonnet ayant
hérité du ruban légendé
du chapeau devenant la nouvelle coiffure de sortie
: austérité oblige en ces
premières années de la
République troisième où
l'abominable Prussien campe aux portes de Paris. La
forme de notre pompon variera au cours du temps au
gré de l'humeur du marin : on le rapetisse,
on le porte en carotte quand le règlement le
voudrait large et aplati, on l'agrandit
démesurément quand le
règlement a bien voulu évolué
dans l'autre sens... Bref le marin manifeste ainsi
sa personnalité - j'allais me surprendre
à écrire "le louque" - dans un pompon
dit de fantaisie, comme il procède aussi
pour le col bleu. C'est interdit bien entendu, mais
le marin n'en a cure, ou plutôt cela
l'émoustille, et une fois passé
l'inspection des permissionnaires
(1)
rien de plus simple que de remplacer le pompon
"Fayot" par celui jugé plus
élégant que l'on a dans la
poche...
Un
pompon amortisseur de
chocs...?
Naturellement on a voulu expliquer ce curieux
accessoires de la tenue, et les inconditionnels "de
la bonne raison" y sont allés de leurs...
logique.
C'était jadis un moyen de se protéger
la tête dans les entreponts exigus aux baux
très bas... Et ce souci touchant de
référence archéologique est de
nature à impressionner le
néophyte.
On
a vu à quelle époque la dite
houppette de laine fit son apparition,
vers les années 1840 avec
réglementation en 1858. Une
fonction protectrice aurait
inévitablement trouvé son
expression bien avant, aux temps où
les baux étaient encore plus bas...
et les têtes aussi sensibles aux
chocs, celles des Bretons y comprises.
Têtes cependant une dizaine de
centimètres moins hautes car
n'oublions pas le fait si nous voulons
être rigoureux dans
l'appréciation de l'environnement
naval, si nous voulons tâter de
l'ergonomie du travail, que la taille
moyenne de l'homme était moindre de
10 cm environ au
XVIIIème (moyenne
162/163 cm)... donc les baux non
particulièrement dangereux. En
outre on ne comprendrait pas pourquoi les
autres marins, les Anglais en particulier
ces rois du "convenient", auraient
négligé un aspect aussi
utilitaire du vêtement s'il se fut
avéré tel. Or au contraire,
adoptant au début du
XIXème un bonnet toque
(forme débordante)
dérivé du "tamo-shanter"
Écossais, ils en suppriment la
petite houppette rouge traditionnelle du
bonnet à
l'Écossaise...
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Voici
en dessin, brièvement,
l'évolution du fameux
pompon du marin, l'occasion de
voir que depuis son origine, ce
dernier a bien changé.
[Cliquer
sur l'image pour
l'agrandir]
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Demeure donc la simple fantaisie qui a seule
inspiré le marin de l'époque en cette
affaire : C'est à mon sens une raison... non
nécessaire mais bien suffisante. La
fantaisie c'est l'homme dans son registre
irrationnel, et la mode constitue l'extrapolation
vestimentaire et sociale de ce sentiment au niveau
de la Société (... et un bon filon
commercial pour ceux, très rationnels eux,
qui savent jouer de la vanité humaine).
Un
pompon
porte-bonheur
... Demeure aussi la vertu "porte-bonheur" du dit
pompon pour la jeune fille ou jeune femme qui le
touche (... on ne le fait jamais toucher par une
vieille) : elle a en effet le droit d'embrasser son
propriétaire... "et plus si
affinités" comme on dit dans les petites
annonces du cur. Mais on identifie là
l'esprit inventif du marin qui a trouvé
là un bon moyen d'entrer en contact avec la
fille assez naïve pour croire à cette
fable. Un truc, une approche comme une autre...
dans la stratégie conquérante du
marin, rien à voir avec une
légende.
Il arrive cependant que le pompon soit un
authentique porte-bonheur, petit Matelot peut
devenir Officier-marinier, s'il consent un minimum
d'effort, bon Officier-marinier peut accéder
à l'état d'Officier du recrutement
interne... s'il s'applique beaucoup : c'est le
bonheur que, personnellement, le pompon m'a
apporté.
Jacques
TUPET
... ci-devant "pompon rouge"
(1)
Précisons pour les jeunes lecteurs que
jadis on sortait en tenue militaire - ...
incroyable n'est-ce pas - et que les... candidats
permissionnaires étaient
préalablement astreints à subir
l'inspection de tenue de l'officier de garde - ...
authentique -
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