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Histoire
du Soldat Inconnu
L'inhumation
solennelle du Soldat inconnu sous l'Arc de Triomphe
de l'Étoile à Paris, le 11
novembre 1920, illustre bien cette
mémoire nationale érigée en
mythe.
Dès
le 6 novembre 1916, dans un discours
prononcé au cimetière de l'Est
à Rennes, François SIMON,
président du Souvenir Français de
cette ville, avait émis l'idée de
placer un soldat inconnu au Panthéon
:
Pourquoi
la France n'ouvrirait-elle pas les portes du
Panthéon à l'un de nos combattants
ignorés, mort bravement pour la Patrie,
avec, pour inscription sur la pierre, deux mots
: UN SOLDAT - deux dates : 1914-1917
?
Cette
inhumation d'un simple soldat sous ce dôme,
où reposent tant de gloires et de
génies, serait comme un symbole ; et plus,
ce serait un hommage rendu à l'armée
française toute
entière.
Le
12 juillet 1918, Maurice MAUNOURY,
député, propose d'élever un
tombeau au soldat
anonyme.
Le
07 décembre de la même année M.
CRESCITZ propose à CLEMENCEAU le transfert
au Panthéon du corps d'un soldat
inconnu.
Le
12 novembre 1919, la Chambre des
députés décide que le corps
d'un soldat inconnu sera transporté au
Panthéon.
Mais
les associations d'anciens combattants,
considérant que le soldat inconnu devait
être inhumé dans un lieu
spécifique, se sont mobilisées pour
que ce soit sous l'Arc de
Triomphe.
En
1919 et 1920, une campagne de presse propose
l'inhumation d'un soldat inconnu sous
l'Arc de
Triomphe.
Le
08 novembre 1920, les députés,
convoqués en session extraordinaire,
adoptaient définitivement la loi relative
"à la translation et à
l'inhumation des restes d'un soldat français
non identifié". Il s'agissait de placer,
dans un lieu hautement symbolique et d'accès
aisé, le corps d'un combattant sans nom qui
représenterait ainsi tous les morts au
combat non identifiés, chaque famille
pouvant le reconnaître pour sein. "Fut-il
le plus humble des citoyens, ouvrier ou patron,
paysan ou bourgeois, illettré ou savant,
patricien ou plébéien", s'exclama
dans une superbe envolée le rapporteur du
projet, Georges Maurisson, qu'importe, pour tous il
sera le plus grand.
Le
8 novembre 1920, les députés ont
voté à l'unanimité la loi
suivante :
Article
1.
Les honneurs du Panthéon seront rendus aux
restes d'un des soldats non identifiés au
champ d'honneur au cours de la guerre
1914-1918.
La translation des restes de ce soldat sera faite
solennellement le 11 novembre
1920.
Article
2.
Le même jour, les restes du soldat inconnu
seront inhumés sous l'Arc de
Triomphe.
La
décision :
Le
8 novembre 1920, les députés
réunis en session extraordinaire adoptaient
la loi concernant "la translation et
l'inhumation des restes d'un soldat français
non
identifié".
Encore
fallait-il placer dans un lieu symbolique et
d'accès facile le corps de ce combattant qui
représenterait tous les soldats morts au
combat, non
identifiés.
Il
restait à choisir la dépouille du
soldat inconnu.
Huit
corps de soldats ayant servi sous l'uniforme
français mais qui n'avaient pu être
identifiés ont été
exhumés dans les huit régions
où s'étaient déroulés
les combats les plus meurtriers : en Flandres,
en Artois, dans la Somme, en Île-de-France,
au Chemin des Dames, en Champagne, à Verdun
et en Lorraine.
Le
9 novembre 1920, les huit cercueils de
chêne ont été
transférés à la citadelle de
Verdun, dans une casemate où ils ont
été plusieurs fois changés de
place pour préserver l'anonymat de la
provenance de chacun d'entre eux.
Une
tâche ardue
:
Chaque
commandant des huit secteurs tenus pendant la
guerre (Artois, Somme, Île-de-France, Chemin
des Dames, Champagne, Lorraine, Verdun et les
Flandres) reçut comme instruction de
"faire exhumer dans un endroit qui restera
secret le corps d'un militaire dont
l'identité comme française est
certaine mais dont l'identité personnelle
n'a pu être
établie".
Mission
pour le moins compliquée, si difficile qu'il
fut impossible dans un des secteurs de
désigner un corps avec certitude qu'il soit
bien français.
Le
10 novembre 1920, en fin de matinée, ce
sont huit cercueils, recouverts d'un drapeau
tricolore, qui sont alignés dans une galerie
souterraine de la citadelle de Verdun
transformée en chapelle
ardente.
Tout
est prêt pour l'arrivée de la
délégation conduite par le
ministre, André MAGINOT, sauf le
soldat que l'on a pressenti pour
être ce "vaillant" sur lequel
on compte. Car l'homme en question, un
héros du Chemin des Dames et de
VERDUN, vient de tomber malade. A quelques
heures de la cérémonie
officielle, il faut trouver un autre
"deuxième classe ayant fait la
guerre", un autre
"vaillant".
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Parmi
les plus jeunes, Auguste
THIN*,
fils d'un soldat mort pour la France, était
de ceux-là.
Le
10 novembre, vers midi, le Chef du
Régiment, le Colonel PLANDE, le convoque
:
"Soldat THIN, c'est vous qui désignerez
le Soldat Inconnu, cet après-midi. Allez
toucher une tenue
neuve".
Quatre
heures plus tard, en tenue n°1, casqué,
sanglé, très impressionné, le
jeune poilu pénètre dans la casemate
transformée en chapelle
ardente.
Suivi
du Général Gouverneur BOICHUT, le
Ministre André MAGINOT est entré dans
la galerie en s'appuyant sur ses
cannes.
La
Sonnerie aux Morts retentit, exécutée
par des jeunes soldats. Puis les tambours
voilés de crêpe se sont mis à
rouler lugubrement et les curs se sont
serrés.
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Le
10 novembre, les cercueils ont
été placés sur deux
colonnes de quatre dans une chapelle
ardente dont la garde d'honneur fut
confiée à une compagnie du
132ème régiment
d'infanterie.
André
MAGINOT, ministre des Pensions, s'est
avancé vers un des jeunes soldats
qui assurait la garde d'honneur, Auguste
THIN, engagé volontaire de la
classe 1919, fils d'un combattant disparu
pendant la guerre, pupille de la
Nation.
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Un
bouquet pour un cercueil
:
Suivant
un cérémonial bien établi, le
soldat Auguste Thin, du 132e RI, vêtu d'un
uniforme neuf, se trouve devant deux rangées
de quatre cercueils en présence du ministre
des Pensions André Maginot, qui lui demande,
en lui présentant un bouquet d'illets
blancs et rouges, de le déposer sur un des
huit cercueils qui sont ici. "Celui
que vous choisirez sera le soldat inconnu, que le
peuple de France accompagnera demain sous l'Arc de
triomphe".
Témoignage
d'Auguste THIN :
"Il
me vint une pensée simple.
J'appartiens au 6ème corps.
En additionnant les chiffres de mon
régiment, le 132, c'est également le
chiffre 6 que je retiens.
Ma décision est prise : ce sera le
6ème cercueil que je
rencontrerai."
La
suite est narrée par un journaliste de
l'époque. "Un silence écrase les
poitrines. Anxieuse attente, le soldat blême
qu'il était est devenu rouge la
démarche raide, il a fait le tour des huit
cercueils. Il a tourné une première
fois très vite, sans s'arrêter, puis
au second tour, brusquement, il a
déposé son bouquet sur le
troisième cercueil de la rangée de
gauche. Un murmure s'élève,
soulageant les curs : - C'est fini, il a
choisi -".
Le
soldat Auguste Thin, avait effectué
son choix en additionnant les 3 chiffres
composant le numéro de son
régiment : 132.
C'est
ainsi qu'il a déposé son
bouquet sur le sixième cercueil,
comme il en témoigna plus
tard.
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Hissé
sur de solides épaules le cercueil fut
ensuite transporté à la gare sur
l'affût d'un canon de 75, tiré par un
attelage, puis chargé à bord d'un
train en direction de Paris. Dans la nuit il
arrivait dans la capitale, où il
était déposé place
Denfert-Rochereau dans une chapelle ardente. Avant
de gagner l'Arc de Triomphe, il fut porté au
Panthéon où le président de la
République Raymond Poincaré
prononça une allocution.
THIN
suit le cortège funèbre
jusqu'à la gare, avec les hommes de sa
compagnie, au pas cadencé, le fusil sous le
bras.
Le train s'ébranle, sans Auguste
THIN.
Le
11 Novembre 1920
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Après
une escale au Panthéon, où
le cur de GAMBETTA est
transféré au même
moment, le cercueil du soldat inconnu, est
placé sur un canon de 155, il est
acheminé vers sa dernière
demeure.
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Le
cercueil du soldat inconnu, béni par
l'archevêque de PARIS, est
déposé sous la voûte centrale
de l'Arc de Triomphe, au milieu d'une foule
immense, qui voit passer un des siens.
A
la même heure, soldat parmi les autres,
Auguste THIN enterrera les sept inconnus
restés à la citadelle, ceux auxquels
le destin a refusé la gloire, Sept tombes
anonymes au cimetière du faubourg
Paué, à VERDUN.
Trois
mois après, Auguste THIN rend sa belle tenue
neuve, son casque, son ceinturon, quitte sa peau de
soldat, et prend celle des civils, sans jamais
oublier son frère de guerre, là-bas,
sous l'Arc de Triomphe.
Auguste
Thin
Auguste
Thin faillit ne jamais rentrer dans l'histoire,
il aurait pu rester un jeune engagé de 19
ans, à qui le 10 novembre 1920 il ne restait
que trois mois de service à accomplir. Mais
le soldat pressenti, "un ancien poilu de
deuxième classe, le plus méritant
possible" qui devait désigner l'un des
cercueils exposés dans une galerie de la
citadelle de Verdun pour être inhumé,
le lendemain, tombant malade à quelques
heures de la cérémonie, il est
impératif de trouver un autre
deuxième classe ayant fait la
guerre.
C'est
alors que le soldat Auguste Thin est
désigné.
Fils
d'un soldat mort pour la France, Auguste Thin est
commis épicier, il s'est engagé
à Lisieux le 3 janvier 1918, à
l'âge de 19 ans. Il participe dans les rangs
du 243e régiment d'infanterie à la
contre-attaque en Champagne où il est
gazé. Quelques mois après, il se
retrouve à l'Hartmannswillerkopf, puis
à l'Armistice, à
Guebwiller.
En
novembre 1920, il est à Verdun à la
caserne Niel, soldat du 132e
RI.
Auguste
Thin, né à Saint-Vaast-la-Hougue en
1899, est mort le 10 avril 1982.
L'exemple
de la France suivi par les
alliés
La
Belgique, le Royaume-Uni, l'Italie, les
États-Unis, le Portugal, la Roumanie et le
Canada comptent aussi parmi les pays qui ont
édifié un monument à la gloire
de leur soldat inconnu tombé sur les champs
de bataille d'Europe.
Dans
le cas du Canada, c'est en mai 2000 que les restes
d'un soldat canadien non identifié mort au
cours de la Première Guerre mondiale a
été rapatrié de France et
inhumé dans une tombe spéciale devant
le monument commémoratif de guerre à
Ottawa. La Commonwealth War Graves
Commission, qui s'occupe des sépultures
des membres des forces du Commonwealth morts au
cours des Première et Seconde Guerres
mondiales, avait choisi la dépouille d'un
soldat non identifié dans le
cimetière situé dans les environs de
la crête de Vimy,
lieu et site d'une célèbre bataille
canadienne lors de la Grande Guerre.
L'hommage
poétique
Le
monde entier disait : la France est en danger ;
Les barbares demain, camperont dans ses
plaines.
Alors, cet homme que nous nommions
"l'étranger"
Issu des monts latins ou des rives
hellènes
Ou des bords d'outre-mer, s'étant pris
à songer
Au sort qui menaçait les libertés
humaines,
Vint à nous, et, s'offrant d'un cur
libre et léger,
Dans nos rangs s'élança sur les
hordes germaines.
Quatre
ans, il a peiné, saigné,
souffert.
Et puis un soir, il est tombé dans cet
enfer...
Qui sait si l'inconnu qui dort sous l'arche
immense,
Mêlant sa gloire épique aux orgueils
du passé
N'est pas cet étranger devenu fils de
France
Non par le sang reçu mais par le sang
versé ?
Pascal
Bonetti, 1920
Extraits de "Légion notre mère,
anthologie de la poésie légionnaire
1885-2000", Éditions Italiques,
ministère de la
Défense.
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